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Affranchissements

Cherchons à représenter, disent-elles. Entretenir, cultiver, instruire un possible devenir femme.

Christine Bouissou
Let us try to represent, they say. Maintain, cultivate, educate a possible “becoming a woman”
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S’attachant au travail intellectuel en tant que mouvement de révision et de revitalisation des représentations qui nous animent plus ou moins clairement, nous menons un travail de recherche sur les procès d’individuation dans ses dimensions psychologique, relationnelle et collective. Ancrée dans l’expérience du féminin, appuyée sur une vision ouverte des sciences humaines et de la littérature, notre réflexion intègre un retour vers l’enfance et le primordial, en tant que viatiques vers une position plus authentique et un accroissement des potentiels des êtres au travail. L’intérêt pour les représentations nous entraîne à examiner un ensemble d’éléments, de codes, de normes, de microcultures qui créent les ambiances professionnelles dans lesquelles nous évoluons, et à ranimer des pensées plus mineures propices à nous armer pour affronter et partager de nouveaux défis. Les voix du féminin y participent, pensons-nous, par leur puissance interprétative et la possibilité qu’elles offrent de construire des médiations nouvelles.

« Il n’est pas impossible que si les mots pleins, et bien assis ont de tout temps été utilisés, alignés, entassés par les hommes, le féminin pourrait apparaître comme cette herbe un peu folle, un peu maigrichonne au début, qui parvient à pousser entre les interstices des vieilles pierres et – pourquoi pas ? – finir par desceller les plaques de ciment, si lourdes soient-elles, avec la force de ce qui a longtemps été contenu. »
Marguerite Duras et Xavière Gauthier, Les Parleuses
(Minuit, 1974, p. 8)

Intention

  • 1  Marie Duru-Bellat, L’École des filles, quelle formation pour quels rôles sociaux ? Paris, L’Harmat (...)
  • 2  « Les discriminations entre les femmes et les hommes », Revue de l'OFCE, 2010, vol. 2, n° 114. (...)

1Nous relaterons dans cette contribution une expérience de recherche, de lecture et d’écriture partagée entre plusieurs femmes, à partir d’un état des lieux des travaux sur l’éducation, les inégalités et les pratiques sociales et éducatives1. L’un des faits qui a d’abord retenu notre attention concerne les interprétations et représentations multiples de la situation scolaire des filles en France2 (globalement, une meilleure réussite scolaire face à une réussite professionnelle moindre), oscillant entre l’idée de conformisme et de clairvoyance. Si ces deux types d’attitude attribués aux filles peuvent, l’un comme l’autre, expliquer une forme de réussite, ils se distinguent quant à la nature de la mobilisation de l’élève qu’ils supposent : dans un cas, l’élève-fille comprendrait ce qu’il est attendu et y répondrait, dans l’autre cas, elle développerait une capacité bien à elle de se mouvoir dans un environnement dont elle aurait compris les ressorts et les enjeux. Cette deuxième vision ne semble cependant pas parvenir à s’imposer, et la question de la réussite des filles à l’école (quand elle ne se traduit pas en réussite sociale) continue d’intriguer les observateurs et de nourrir les controverses.

  • 3  Hélène Romano, Harcèlement en milieu scolaire. Victimes, auteurs : que faire ?, Paris, Dunod, 2015 (...)
  • 4  L’attention à l’environnement de travail suppose la double capacité à être présent et à adopter un (...)
  • 5  Willem Doise et Gabriel Mugny, Le Développement social de l'intelligence, Paris, InterÉditions, 19 (...)
  • 6  Luce Irigaray, Je tu nous, pour une culture de la différence, Paris, Grasset, 1990 ; « Women in le (...)

2Notre approche, délibérément assertive3, aborde la question de la réussite des apprentissages et du développement en tant que synthèse résultante d’une disponibilité active et d’un engagement dans le hic et nunc des situations. Nous cernons la question en tant que propension, aptitude, capacité à se rendre attentif aux contextes4, à saisir les enjeux des situations et à soutenir un usage de soi-même dans le collectif, fondé sur les raisons d’être et de travailler dans un ensemble5. Nous souhaitons approfondir la réflexion concernant les conditions de développement, d’essor et d’individuation du féminin. Nous voulons aussi envisager les possibilités d’extension de la réflexion aux trajectoires de vie des femmes adultes, en étant attentives aux conventions et aux normes en usage. Nous souhaitons enfin garder ouvertes quelques questions simples : à quel moment du déroulement d’une vie professionnelle ou sociale décide-t-on qu’elle est réussie ou non, et qui le décide ? La réussite professionnelle n’est-elle pas, dans les imaginaires collectifs, pensée au masculin et normée comme telle6 ?

  • 7  « Ma cité, mon cocon. Jeunes filles entre elles et entre soi » (France culture, Terrains sensibles (...)
  • 8  Karim Basbous, Avant l’œuvre. Essai sur l'invention architecturale, Paris, Éditions de l’imprimeur (...)

3Notre étude part de l’analyse d’un reportage radiophonique7 problématisé autour de la situation des femmes venues des pays du Sud (et/ou des filles inscrites dans une trajectoire familiale d’émigration). Dans l’embrouillamini des perceptions et représentations à l’œuvre dans les débats et les imaginaires français actuels, persistent de nombreuses questions. Comment la pensée des femmes françaises, nourrie en outre de féminisme universaliste, peut-elle évoluer pour appréhender les potentiels des femmes des pays du Sud ? Peut-on faire en sorte que les voix du féminin, en « offr[ant] au monde ce que le monde n’a jamais demandé mais demeure à toute heure prêt à recevoir8 », fassent envisager la possibilité d’un humanisme renouvelé ?

  • 9  Représentations de l’action publique, de l’éducation et de la recherche, impliquant notamment des (...)
  • 10  La parrêsia est autant une vertu qu’un devoir et une technique. Il s’agit d’une culture de soi et (...)

4Conjointement à cette analyse, nous cherchons à conduire une réflexion collectivement partagée sur notre situation de femmes professionnellement engagées, et sur les conditions d’émergence d’une parole civique du féminin. Nous nous sommes rassemblées autour de l’idée qu’il reste à interroger, à creuser, à confronter encore des questions et des manières de les aborder, en nous appuyant à la fois sur nos situations concrètes de travail et sur quelques constats simples : professionnelles, nous sommes sans cesse en contact avec des représentations contrastées9 ; elles informent les pratiques et en découlent ; il est possible d’en étudier la genèse et les fonctions, de les déconstruire et de générer de nouvelles visions, concordantes avec nos vouloirs professionnels, sociaux ou citoyens, eux-mêmes en formation. L’entreprise veut ouvrir à une intellection nouvelle et une capacité d’agir robuste en tant qu’acteur éducatif – en développant une forme de parrêsia10 –, reconnaitre la spécificité de nos statuts de femmes engagées dans une activité de travail et nous ouvrir vers de nouvelles médiations entre connaissance et action. La qualité de nos activités découle du type de médiations que nous sommes en capacité d’établir, et des possibilités concrètes de coopération, en gardant à l’esprit qu’apprendre et se développer n’est pas affaire de conformisme mais plutôt de confrontation à l’épreuve de l’altérité, du décentrement et du conflit.

  • 11  Emanuele Coccia, La Vie des plantes. Une métaphysique du mélange, Paris, Rivages. 2016. Nous reten (...)

5Notre propos vise donc à renouveler le travail d’accompagnement, de médiation et d’étude de la parole féminine en tant qu’acte civique, tant du côté des jeunes femmes s’exprimant par les ondes d’une radio nationale, qu’au travers de nos expériences de travail et d’encadrement. L’enjeu est double mais cohérent, en plaçant au cœur de la réflexion la question des conditions concrètes de transmission et de développement ; celui-ci étant à comprendre comme l’action de déplier ce qui est enroulé en soi-même (a contrario d’une progression linéaire et continue). Il s’agit d’élargir le champ des possibles11 dans des univers souvent vécus comme simultanément très contraints et démocratiques.

Voix de femmes et volition

  • 12  La lecture symptômale est une des voies suivies pour l’analyse de ces textes. Elle consiste à poin (...)

6Notre attention s’est portée sur un reportage radiophonique réalisé auprès de six jeunes femmes inscrites dans une histoire familiale d’émigration depuis des pays du Sud méditerranéen et résidant dans la cité des Mordacs à Champigny-sur-Marne, en Île-de-France. Au fil des années et des étapes du travail, nous avons procédé à de nombreuses écoutes, à des retranscriptions (partielles ou intégrales), à des confrontations entre diverses réceptions du documentaire (auditions/lectures), à des échanges collectifs sur les effets d’altération symbolique qu’il produit, ainsi qu’à des approches comparatistes avec d’autres corpus, notamment des textes institutionnels concernant la politique de l’égalité entre les genres à l’école12.

7Nous souhaitons retracer dans ses grandes lignes cette étude, en creusant particulièrement des questions de méthode. Car, tout en visant la formalisation conceptuelle, étape ultime d’un procès de métabolisation parfois douloureux et souvent hasardeux, nous sommes attentives à diversifier les modes d’accès au sens. Si notre abord initial du reportage s’attachait à quelques idées simples (1 - une émission radiophonique résulte d’un choix de production ; 2 - une réception active produit un questionnement sur l’intention et/ou les effets politiques de ce choix ; 3 - la production-diffusion-réception agit sur l’ensemble des protagonistes de la relation), l’étude et son détour poétique ont permis de nous transformer et de nous confirmer en découvreurs-reconstructeurs de sens. Changer de méthode pour altérer des représentations est en soi un défi.

  • 13  Les femmes étudiées font en effet preuve d’une cognition sensible au commun et bâtie sur les raiso (...)

8Un premier appui a été pris sur les travaux de Carol Gilligan. La psychologue américaine a fondé en 1982 une compréhension nouvelle du jugement moral des femmes, et démontré leur capacité à intégrer en des ensembles complexes les contraintes émanant des liens interindividuels13. Elle s’est mise à l’écoute des bredouillements inaudibles, des formulations inattendues, attentive à la manière dont les interviewées cherchent à formuler les problèmes qui leur sont soumis. Elle parviendra à faire entendre une capacité morale intuitive, ancrée dans les situations locales, référée à des entités singulières et fondée sur la préoccupation d’autrui. Elle y perçoit un geste éthique, le care, raisonnant sur la connaissance des environnements concrets et favorisant l’imagination morale, ne cherchant ni la généralisation légale, ni l’évaluation principielle (largement plus observées chez les hommes), ni à échapper aux contraintes contextuelles et relationnelles des situations. Gilligan a totalement renversé la manière d’entendre les voix des femmes, lorsque l’autorité n’est pas en adéquation avec ce qu’elles savent être vrai par expérience.

  • 14  Luce Irigaray, Corps à corps avec la mère, Montréal, Pleine Lune, 1991, p. 87.

9C’est ainsi que nous avons voulu entendre les voix des jeunes femmes de la cité des Mordacs : en saisissant les atmosphères dans lesquelles elles respirent et déploient une vitalité propre, en les écoutant décrire leur vie. Vie qui fait une large place à leurs frères, les garçons, et à leurs parents. Vie reconnue dans sa complexité et acceptée dans ses difficultés. C’est dans une éthique de l’écoute que résident la plus grande force et les possibilités d’altération des stéréotypes. « Pour des êtres humains la vie passe et se déploie par la parole ; pour promouvoir les valeurs de vie il faut prendre la parole [a contrario] des pouvoirs dominants qui ont mis la parole devant eux et parlent à travers une rationalité tout à fait extérieure à leur corps14. » Si la voix d’Antigone a tellement inspiré la pensée féministe, c’est qu’elle obéit à sa parole en ne renonçant pas à représenter son frère déchu au sein de la cité qui l’a exclu. Elle, seule, choisit et se gouverne.

  • 15  Christine Bouissou, « Chronique d’une sortie en ville », Les Cahiers d’Adèle, n° 5, « La ville », (...)
  • 16  La notion d’apeiron est reprise par Gilbert Simondon du philosophe présocratique Anaximandre (Gilb (...)
  • 17  Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille plateaux, Paris, Minuit, 1980.

10Dans un deuxième temps, un exercice d’écriture poétique fut l’occasion de creuser encore notre compréhension des voix féminines15. Le chantier était bordé par la nécessité de produire un texte court sur un thème imposé (« la ville »), et par l’intention de faire émerger une idée-force. Dans la position minoritaire des jeunes femmes interviewées, réside un apeiron16 : un potentiel, une vitalité, prémices d’une intelligence nouvelle du féminin et de la parole en tant qu’actes civiques, qu’il s’agit d’entendre ou de faire éclore, par-delà l’évocation des nombreuses contraintes qui structurent leur/nos vie-s ; car elles s’y adossent et en sortent. Par là, nous dissipions ou dispersions la touffeur des représentations concernant les femmes issues de l’immigration et résidant en banlieue. Le détour poétique a permis d’enclencher une intellection nouvelle et une déconnection des réflexes projectifs et des classifications ordinaires concernant les « femmesdebanlieuesdominées ». L’entr’actualisation de concepts théoriques, d’images et du vocabulaire trivial – évoquant le mouvement et l’espace – a rendu manifestes les dynamiques à l’œuvre chez les jeunes femmes : par exemple, les notions de déterritorialisation et de devenir minoritaire, chères à Gilles Deleuze et Félix Guattari17, ont aidé à saisir leurs déplacements (cages d’escalier, immeubles, étages, ascenseurs, sorties à Paris), les liens qu’elles défont et refont (désolidarisation critique et loyauté à l’égard du natal, de l’héritage et du commun) et la possibilité de « fuir », comme opportunité de dessaisissement des stéréotypes.

  • 18  Luce Irigaray, Corps à corps avec la mère, Montréal, Pleine Lune, 1991, p. 45.

11Le geste poétique s’est donc avéré propice à trouver une parole poïétique « qui fait vérité, qui agit18 », en se situant au diapason des voix que nous cherchions à comprendre. Il n’aurait pu aboutir sans un certain retour vers l’enfance comme figure primordiale du devenir : voix off, sourdine tenace, rendant sensible à l’émergence du primordial et du potentiel. Nous y reviendrons.

  • 19  Karim Basbous, Avant l’œuvre. Essai sur l'invention architecturale, Paris, Éditions de l’imprimeur (...)

12Pour l’heure, on peut opportunément rappeler les réflexions de Karim Basbous19 à propos de l’art del designo, et montrer l’intrication des représentations graphiques, médias visuels, médias sonores et représentations mentales ou conceptuelles.

  • 20  Par exemple quand elles constatent que « pour les garçons c’est pas pareil » : mieux tolérés qu’el (...)
  • 21  Christine Bouissou, « En quête des raisons de l’autre », Le Télémaque, vol. 2, n° 48, 2015, p. 65- (...)

13D’une part, la référence à l’architecture est utile pour saisir les déplacements spatiaux, subjectifs, normatifs et leurs entrelacements. Elle rend sensible le mouvement psychique à l’œuvre chez les jeunes filles20 : délibération et distanciation vis-à-vis des héritages dont elles saisissent les ombres et les excès, genèse d’un regard singulier sur l’ordinaire de leur vie et d’une normativité indépendante des ambiances communautaires et médiatiques qui la plupart du temps outrepassent leur parole21.

  • 22  Karim Basbous, Avant l’œuvre. Essai sur l'invention architecturale, Paris, Éditions de l’imprimeur (...)
  • 23  « Il y a des choses que l’intelligence seule est capable de chercher mais que, par elle-même, elle (...)

14D’autre part, l’architecte libanais plaide pour une pensée qui entrevoit plus qu’elle ne peut représenter dans l’immédiat et qui, parce qu’elle tolère la confusion, le décalage, le lacunaire, est capable de « voir faiblement » et « de réfréner la propension du trait à vouloir faire figure à n’importe quel prix »22. Selon nous, suspendre l’urgence d’entendre, au profit d’une exploration au long cours par l’écoute, est la condition d’une altération des représentations ordinaires : le designo devient « un geste d’écoute de l’informulé23 ». Il faut donc supporter l’épreuve du brouillon et de l’intuition fugace, et soutenir que précision de la pensée et instabilité des représentations peuvent cohabiter. La mobilité tendue, ni liberté ni flânerie, permet aux gestes du papillonnage et de l’exploration, si dispersés puissent-ils paraître, de s’aligner pour jalonner le cours d’une progression qui veut trouver la position la plus juste, la plus topique et la plus résonnante. La plus sensiblement raisonnante.

Plongées vers l’enfance

  • 24  Pierre Macherey, « “Il faut être absolument moderne.” La modernité, état de fait ou impératif ? », (...)
  • 25  Walter Benjamin, Sur le concept d’histoire [1940], Œuvres III, Paris, Gallimard, « Folio », 2000. (...)

15La remontée généalogique aux sources d’une pensée donne à l’entreprise un élan intempestif et moderne, une capacité à problématiser de manière renouvelée les éléments du réel présent24. Retrouver et reconnaître les figures du passé qui se re-présentent dans le présent (et au sein d’une très vaste et très instable économie de la connaissance) garantit un sentiment de continuité par-delà les crises et les bifurcations, rend possible l’héritage et autorise la prise de parole. Elle permet de soutenir la dualité et l’instinct d’auteur. Et ouvre à la poésie. Si Walter Benjamin25 a puisé dans l’enfance une pensée originale de l’histoire dont le souffle peut encore aujourd’hui nous animer, Nathalie Sarraute, Pierre Pachet et Yves Bonnefoy ont fait de cette figure l’élément primordial d’une œuvre démontrant, s’il le fallait encore, que l’enfance s’élabore d’autant plus qu’on la quitte.

  • 26  Nathalie Sarraute, Enfance, Paris, Gallimard, 1983.

16Le regard neuf de l’enfance conduit Nathalie Sarraute26 à retrouver les tropismes, ces mouvements intérieurs informulés sur le moment, qui ont coloré son univers et qu’elle veut, à la fin de sa vie, élucider. Formuler l’informulé des sous-conversations, des micromouvements qui ont eu lieu à l’insu des consciences présentes peut se faire par un détour vers l’être sensible d’une enfance redécouverte, et peut-être enfin comprise.

  • 27  Yves Bonnefoy, L’Écharpe rouge, Paris, Mercure de France, 2015, p. 260.

17L’espace intérieur du poète Yves Bonnefoy est balisé par l’enfant qu’il fut, qui a expérimenté des présences, « hostiles ou affectueuses, mais toujours proches de lui, ce que plus tard, venue la pensée conceptuelle, l’adulte qu’il sera ne pourra guère expérimenter que comme des choses27 ». Le retour à l’enfant est un viatique pour travailler le rapport à soi, pour en dégager l’essentiel, pour le transmuter en sagesse. C’est la poésie, l’écriture, l’effort vigilant et obstiné, qui raniment le possible.

  • 28  Pierre Pachet, « Entretien avec Pierre Pachet », Rue Descartes, vol. 1, n° 43, 2004.

18La solitude, le secret et l’ennui favorisent, selon Pierre Pachet28, une relation avec soi et un mouvement du négatif vers le positif. La reconnaissance de la confusion mentale permet d’en extraire quelque chose d’enraciné, et d’établir avec l’intime un rapport attentif. Grâce à une forme de passivité, grâce à la patience de la vie mentale et à la valeur spirituelle de l’attention, naît une capacité à faire émerger des idées en repoussant ce qui est inadéquat.

  • 29  La relève est à entendre au sens de Aufhebung, procès inhérent à la transmission-héritage de la cu (...)

19L’attention à l’intégrité intérieure rend aussi sensible à l’extérieur, au surgissement de ce qui vient, nous fait témoin, gardien ; gardien d’un préindividuel (voir infra) dont nous héritons et qu’il nous incombe d’actualiser. Ainsi les jeunes filles interviewées se font porte-voix de leurs pères mutiques, se révèlent aujourd’hui mieux à même qu’eux d’évoquer leur histoire, relevant29 cet héritage au sein même de leur vie de filles françaises, état qu’elles reconnaissent voire revendiquent, sans se priver de l’interroger (« ça veut dire quoi être française ? »).

  • 30  Gilbert Simondon, L’Individuation psychique et collective, Paris, Aubier Montaigne, 1989.

20Il convient à présent d’introduire dans le champ de la réflexion l’idée d’inachèvement, de potentiel et d’apeiron : l’individu, au sens de réalité d’un organisme vivant (ce peut être un collectif) est chargé de potentiel, d’indétermination, d’illimité, d’inengendré. C’est dans cet esprit qu’avance Gilbert Simondon30, à propos de l’individuation personnelle et collective, mouvement énergétique se propageant de proche en proche entre les éléments (individus singuliers, individus collectifs, psychiques, techniques, psychosociaux). Au contraire de l’angoisse qui isole le sujet, l’individuation appelle la charge de réalité préindividuée du sujet à entrer dans une individuation nouvelle par le collectif, le préservant des risques d’un enfermement substantiel.

21Une telle vision optimise les représentations ordinaires, en démontrant la parfaite continuité, contiguïté, soi/autrui par le phénomène de transduction : des effets de structuration sont produits par la circulation énergétique entre individus. Le transindividuel est ce qui fait communiquer les individus entre eux, en mettant en contact ce qui, en eux, n’est pas encore individué dans des rôles sociaux déjà établis. Individuations vitales, psychiques et psychosociales vont de pair.

22L’interdépendance prévaut sur l’assignation des êtres et des choses, et rend cruciale la capacité à supporter et à dépasser des épisodes de déphasage. Il faut aussi observer qu’en s’individualisant, le préindividuel s’appauvrit. Cet appauvrissement est temporaire car le sujet porte encore sa charge de réalité préindividuelle, primordiale, sans phase, remplie d’énergie mais non encore structurée et ni exprimée ; le préindividuel est « plus que un ».

23L’anthropologie de Simondon évite la coupure entre psychisme et social, et la sous-estimation de la technique dans le travail humain. Elle propose une compréhension globale et kinésique des productions humaines et du changement social. Cette vision stimule en outre une représentation du travail en tant que tension, potentiel : une certaine façon de se rattacher au monde à travers une activité qui appelle une structuration sans être elle-même une structure, car elle se fait, se défait, se refait sans cesse. Le travail de problématisation propre à l’activité intellectuelle devient lui-même possibilité d’individuation, quand il installe une configuration à partir de laquelle ce qui fait obstacle suscite un devenir compris comme résolution de problème. Individuation du féminin et individuation de sa connaissance procèdent l’une de l’autre.

Le commun, le partage, l’énergie primordiale

24Le retour vers l’enfance, comme le geste, créatif défragmentent les liens et aident à retrouver le sens du commun. Mais sans médiations, rien n’est possible. La dimension proprement relationnelle de la construction du sujet humain invite en effet à accorder une attention particulière à ce qui fait lien et présence à l’autre, et à reconnaître qu’écouter autrui c’est chercher à organiser les circonstances d’une rencontre. C’est donc d’un sujet relationnel et interdépendant qu’il est question, saisissant l’humanité en tant qu’elle est foncièrement précaire et ouvrant à une vision éthique du care.

25Des expériences limites, individuelles ou civilisationnelles, que sont par exemple la survie après l’holocauste ou l’épreuve de la maladie psychique, ont conduit des praticiens engagés dans l’accompagnement des souffrances à penser la vulnérabilité. Celle-ci, quand elle n’enferme pas dans le pathos, peut au contraire ouvrir à la force et à la profondeur de l’altérité – on bute forcément sur la limite posée par l’autre – et au respect de sa préservation qui renforce l’intégrité.

  • 31  Pierre Macherey, Le Sujet des normes, Paris, Amsterdam, 2014, p. 111.
  • 32  Fernand Deligny, Œuvres, Paris, L’Arachnéen, 2007, p. 1401.

26Au travers d’un lien longuement établi avec des enfants autistes, l’éducateur Fernand Deligny a saisi l’élément primordial de l’humain, le Nous élémentaire, naturel et commun, non piégé dans les grilles symboliques et normatives : le Nous, apolitique et politique tout à la fois. Le primordial est ce qui est de première importance, qui est le plus ancien et qui sert d’origine, « ce qui compte le plus même si le plus souvent, ce qui en réalité, par un effet d’aveuglement reste insoupçonné et en conséquence, compte le moins, ce qui est en dernière instance déterminant, dont tout le reste, en fin de compte, dépend31 ». Tous les comportements humains en découlent, comme de source. L’humain persiste, toujours là de manière a-consciente. La coexistence du naturel et du symbolique, les « coïncidences entre deux modes d’être dont chacun a sa gravité32 » impliquent le conflit qu’il faut savoir accepter et faire jouer, pour ne pas renvoyer dos-à-dos individu a-conscient et sujet conscient de soi. Ils représentent les deux bordures de notre existence, dont ils se disputent le contrôle sans que l’un ou l’autre puisse définitivement l’emporter en occupant la totalité du terrain.

  • 33  Martin Buber, La Vie en dialogue, Paris, Aubier, 1959.

27Ainsi l’altérité réside tout autant dans l’antagonisme des forces qui nous traversent et l’irréductible fragmentation intime, que dans la relation à autrui, laquelle peut se révéler réconciliatrice. La rencontre de l’autre, au sens de Martin Buber33, est mue par la volonté d’hommes d’être les uns avec les autres. Le dialogue qui fait sortir de soi, par la capacité à formuler des réponses à partir d’une mutualité intérieure, repose sur la réciprocité et la responsabilité de deux êtres souverains dont aucun ne cherche à impressionner l’autre ni à l’utiliser : l’autre est reconnu et nommé comme être singulier (et non objectivé, réifié, utilisé dans un rapport je-cela) et donne accès à une réalité subjective je-tu enracinée. Ce sont l’ambiance et la structure de l’entité relationnelle, comme la manière d’y interagir et l’enjeu donné aux interactions, qui préservent le potentiel de subjectivation.

28Le philosophe précise que la rencontre ne relève aucunement d’une empathie qui consisterait à se projeter, effaçant la spécificité de l’un comme de l’autre ; le dialogue ouvre plutôt à une distance entre soi et l’alter, entités distinctes entre lesquelles des liens peuvent s’établir ; il permet un élargissement de soi attentif au centre dynamique de l’autre. La réflexion de Buber et son engagement dans l’enseignement l’ont conduit à l’idée que l’éducation des adultes peut apporter un soutien dans les moments de faille ou de désespoir, et à ré-esquisser les contours d’un rapport humaniste à la vie, soi-même y compris. L’éducateur (au sens large) est foncièrement médiateur : il recueille les forces constructives du monde, les déchiffre, les attire, les absorbe ; il donne l’élan, favorise l’éveil à l’altérité.

  • 34  Julia Kristeva, Le Génie féminin. La vie, la folie, les mots. Melanie Klein, Paris, Gallimard, 200 (...)

29Julia Kristeva34 poursuit dans ce sens, par son abord psychanalytique de la présence à l’autre, y intégrant ce que la bisexualité psychique offre, de part et d’autre d’une rencontre, de possibilités de vies psychiques plus amples et fécondes. Le génie féminin réside selon la psychanalyste dans une capacité, non réservée aux femmes, à accueillir en soi l’altérité, non pour l’engloutir mais pour (se) fertiliser et engendrer un devenir.

  • 35  Elle propose de définir la qualité de développement d’une région par la prise en compte des besoin (...)

30C’est la question d’un rapport essentiel aux savoirs établis et à l’instabilité d’un monde en devenir que nous sommes à présent conduits à poser, depuis la chaîne des transmissions dans laquelle nous sommes tous pris. C’est aussi la question, plus ample encore, d’une évolution des approches du développement humain qui se rendraient sensibles aux dynamiques symboliques et aux économies de la connaissance, pour reconfigurer les rapports globaux sans négliger le souci du proche et du commun. À ce titre, nous retenons les travaux de l’américaine Martha Nussbaum, concevant le développement économique comme devant garantir les conditions d’une vie (large) suffisamment bonne et juste35. Ces capabilités de base répondent au minimum exigé par la dignité humaine, approchée comme capacité à s’autosaisir, à générer et à faire fructifier un souci du commun, proche ou lointain, à sortir des rapports paternalistes ou colonialistes. Il s’agit d’attirer l’attention sur les conditions rendant mutique, inaudible, invisible et d’appliquer à soi-même les mêmes vertus qu’au collectif que l’on souhaite, de combiner des capacités personnelles aux environnements politiques, sociaux, économiques, de faire varier l’ambiance par une conversion du regard et de produire des organisations composites en recherche d’équilibre, fussent-elles individuelles, fussent-elles collectives, avançant de concert.

Aider le travail

31L’ambition de renouveler les représentations attachées à nos environnements par le travail de recherche est inséparable d’un questionnement sur la manière d’organiser le travail en commun, le partager sans l’affadir, en assurer les évolutions. Revenir au sens premier des motivations et des motifs qui sous-tendent les codes et les normes de nos milieux de vie permet d’entretenir avec eux un rapport authentique et actif, empreint de parrêsia. Il est à ce titre vital de reconsidérer positivement le geste d’administration (entendu comme attention aux autres et à leurs conditions d’existence) ou de management (prendre en main) et de se défaire de la défiance dont il fait habituellement l’objet dans nos entourages professionnels.

  • 36  Mary Parker Follett, Creative Experience, Longmans, Green, 1924.
  • 37  Emmanuel Groutel, « Mary Parker Follett. La facette méconnue du management jardiné », Revue frança (...)

32La démarche de Mary Parker Follet36 nous y aide dans sa vision paysagiste, tant elle a su – travailleuse sociale et consultante il y a près d’un siècle – s’attacher à la mouvance des organisations humaines et en faire un atout sur lequel fonder le leadership. Son approche pragmatique et éthique, décloisonnant conception et exécution, s’appuie sur l’idée qu’il est possible de nous organiser nous-mêmes en tant qu’individus œuvrant pour un service public, pour créer une vie plus riche et plus remplie au-delà de nos diversités et intérêts particuliers. Elle s’attache aux situations en tant qu’énergies qui se croisent, flux et transformations. Ce sont les logiques de changement qui déterminent la vie sociale ; encadrer ces logiques revient à trouver la loi qui les ordonne et à s’y soumettre, leader y compris, pour le bénéfice du plus grand nombre. La centration sur la situation permet de la dépersonnaliser, intègre l’ensemble des parties prenantes et circularise l’ordre. C’est un management créatif et diffus que propose l’Américaine, avec l’idée que l’observation de la nature aide à comprendre les configurations humaines que l’on peut appréhender et entretenir comme on le fait d’un jardin : repérer des initiatives, se tenir près du sol, organiser le terrain pour laisser grandir, mieux orienter, préparer l’éclosion. Gérer est donc un art de plein air tolérant le complexe et les imprévus : « Le sillon n’est pas tracé plein dans sa rectitude, souvent il est fait de circonvolutions, d’hésitations voire d’échecs dans les acclimatations37. »

  • 38  Georges Canguilhem, « Milieu et normes de l’homme au travail », Cahiers internationaux de sociolog (...)
  • 39  Christine Bouissou, « L’accès à l’âge adulte à travers une expérience préprofessionnelle », Revue  (...)

33Nous suivons également les pas du médecin et philosophe Georges Canguilhem38, pour qui la santé se trouve dans l’établissement d’une normativité au travail. Ce regard, d’abord porté sur les organes et corps humains, peut avantageusement s’étendre à tout collectif qui se veut activement rassemblé et rassemblant par une activité déontique de définition-revitalisation des normes. Le discernement, l’in(ter)dépendance et le sens critique sont des qualités qui ouvrent à la capacité d’entretenir un lien ou au contraire de le rompre au regard d’un déficit de normativité partagée, au regard de pouvoirs qui prennent le pas sur l’activité de délibération et de choix. La normativité est un procès d’intégration et d’intégrité au jour le jour, qui potentiellement se défont39.

Altérations

  • 40  Virginia Woolf, Trois guinées [1938], Paris, Blackjack/Les Presses du réel, 2012.

34L’œuvre féministe nous engage depuis longtemps à trouver un lieu de performance spécifique pour nos manières d’être au monde, d’en user et d’y représenter des rapports alternatifs, d’y prendre parole et de l’écrire. Virginia Woolf40 a plaidé pour la création d’une société fondée sur les habitus culturels différents des femmes, vues comme outsiders et valorisées comme telles. Une telle société passe par une éducation alternative, capable de forger « cette arme de l’opinion indépendante » nécessaire à l’obtention de droits égaux et à une insertion dans le monde du travail, non pour le reproduire, mais pour le changer de l’intérieur en créant une culture des femmes, différente et autonome. Hériter de savoirs structurés par le masculin n’empêche pas d’en user en mettant au service du commun une nouvelle sagacité, pour étudier de près l’origine des organisations sociales et leurs mutations, pour mener un examen serein des politiques publiques et se vouloir médiatrices de celles-ci, en devenant capables de discerner réalités et virtualités. Cet abord est aux antipodes d’une position d’expertise en surplomb et s’attache à changer l’atmosphère : l’une des plus grandes puissances avec laquelle il faut se battre.

  • 41  Luisa Muraro, « En écoutant Françoise Collin : le prix payé et à payer pour l’exclusion des femmes (...)
  • 42  Luce Irigaray, J’aime à toi, Paris, Grasset, 1992, p. 17.
  • 43  Luce Irigaray, Je tu nous, pour une culture de la différence, Paris, Grasset, 1990, p. 138.
  • 44  Luce Irigaray, Je tu nous, pour une culture de la différence, Paris, Grasset, 1990, p. 132.
  • 45  Luce Irigaray, Corps à corps avec la mère, Montréal, Pleine Lune, 1991, p. 40.
  • 46  Julia Kristeva, Le Génie féminin. La vie, la folie, les mots. Melanie Klein, Paris, Gallimard, 200 (...)

35Car le féminisme est « principalement une révolution du champ symbolique41 », promouvant autre chose que le pathos, même si pâtir fait partie de l’aventure. Il s’agit de chercher à changer de logiciel symbolique et d’ambiance de vie et de travail pour d’autres usages, trouver des contextes linguistiques et représentatifs ouvrant à des médiations et à des droits subjectifs : « C’est de médiations et de distanciation que les femmes ont toujours besoin42. » Changer d’ambiance culturelle c’est déplacer les questions et « ne plus entretenir le discours de l’aliénation des femmes ni l’illusion de l’égalitarisme43 » et, reconnaissant au symbolique toute son importance, les transformer de l’intérieur en savoirs et en compétences sociales, porter attention aux différences qualitatives, aider au renforcement de la subjectivité : « Il s’agit d’acquérir quelque chose de plus mais aussi d’être capable de quelque chose de moins. Ainsi se sentir plus libre vis-à-vis de ses peurs, des fantasmes des autres, se dégager des savoirs, devoirs ou biens inutiles44. » La fonction de sororité, de maternage réciproque, d’affidamento (rapport de confiance d’entraide, de coconstruction) dans les groupes de femmes est essentielle : mode de communication, de confrontation et de travail privilégié pour créer des représentations sensibles de nous-mêmes, sans se préoccuper de sa reconnaissance immédiate et directe : « Depuis 1973, dans la suite de mai 68, et simultanément au mouvement des femmes, le cheminement exemplairement transgressif s’est poursuivi : le discours analytique s’est articulé au politique, un espace possible a été ouvert à l’imaginaire féminin, la tête chercheuse s’est acharnée dans la délivrance de textes qui peuplent l’Occident depuis la Grèce45. » Cet engagement à re-médier, Julia Kristeva le comprend aussi par le fait que « comme en bien d’autres domaines [outre la psychanalyse], au temps des génies et des grands systèmes succèdent aujourd’hui l’aventure et les risques personnels, et les échanges entrecroisés en réseaux46 ».

  • 47  Luce Irigaray, Corps à corps avec la mère, Montréal, Pleine Lune, 1991, p. 51.
  • 48  Christine Bouissou, « En quête des raisons de l’autre », Le Télémaque, vol. 2, n° 48, 2015, p. 65- (...)
  • 49  Joan Borrell, La Raison nomade, Paris, Payot, 1993, p. 224.

36Les thématiques de l’authenticité de la parole, de l’exil et du natal se trouvent ainsi articulées. Car une parole de vérité consiste à « parler nativement et naïvement47 », sans s’appuyer sur la maîtrise, le calcul ou l’exhibition ; c’est essayer de faire que le pouvoir des normes et des codes – à entendre comme encodages simplificateurs des sens communs produisant réifications, gestes commandés et stéréotypés  – ne se substitue pas au pouvoir des mots et de la pensée qui sont du côté du politique de la vie dans la cité, du corps qui s’engage48. Aussi, la raison d’un être ensemble, entendue par le philosophe Joan Borrell comme immanente, sensible, mouvante, non souveraine, volontairement exilée du sol natal, « irrespectueuse mise en crise de l’ordre conceptuel49 », transforme les rapports entre les êtres et des êtres en eux-mêmes, dès lors qu’ils s’autorisent à risquer leur pensée en dehors du banal.

  • 50  Georges Didi-Huberman, Survivance des lucioles, Paris, Minuit, 2009.

37En ce sens le travail de recherche est propre à ranimer, à entendre et à faire parler ce qui est tu et oublié, jusqu’à produire, s’il faut réparer les esprits désenchantés, une « survivance des lucioles », comme s’est appliqué à le faire Georges Didi-Huberman50.

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1  Marie Duru-Bellat, L’École des filles, quelle formation pour quels rôles sociaux ? Paris, L’Harmattan, 2004.

2  « Les discriminations entre les femmes et les hommes », Revue de l'OFCE, 2010, vol. 2, n° 114.

3  Hélène Romano, Harcèlement en milieu scolaire. Victimes, auteurs : que faire ?, Paris, Dunod, 2015.

4  L’attention à l’environnement de travail suppose la double capacité à être présent et à adopter une position réflexive, exotopique vis-à-vis des situations (autrui, normes, techniques).

5  Willem Doise et Gabriel Mugny, Le Développement social de l'intelligence, Paris, InterÉditions, 1981.

6  Luce Irigaray, Je tu nous, pour une culture de la différence, Paris, Grasset, 1990 ; « Women in leadership », Citizen Today, Londres, Ernst and Young, 2013.

7  « Ma cité, mon cocon. Jeunes filles entre elles et entre soi » (France culture, Terrains sensibles, 2006).

8  Karim Basbous, Avant l’œuvre. Essai sur l'invention architecturale, Paris, Éditions de l’imprimeur, 2005, p. 157.

9  Représentations de l’action publique, de l’éducation et de la recherche, impliquant notamment des représentations du sujet humain, de l’État et du pouvoir, le plus souvent implicites.

10  La parrêsia est autant une vertu qu’un devoir et une technique. Il s’agit d’une culture de soi et d’un rapport à soi qui s’acquièrent et s’exercent dans des formes de gouvernement, de soi et des autres (Michel Foucault, Le Gouvernement de soi et des autres, Paris, Gallimard, 2008).

11  Emanuele Coccia, La Vie des plantes. Une métaphysique du mélange, Paris, Rivages. 2016. Nous retenons particulièrement la notion d’atmosphère – enveloppant les humains, les traversant et produite par eux, et la notion de nature : non pas ce qui précède ni s’oppose à la culture, mais ce qui permet de naître et de devenir, principe et force à l’œuvre dans la genèse et la transformation.

12  La lecture symptômale est une des voies suivies pour l’analyse de ces textes. Elle consiste à pointer les impensés d’un matériau textuel, ce qui reste à ses marges, et à formuler des pistes pour envisager de nouveaux cheminements à partir du premier sens apparent (Judith Butler, La Vie psychique du pouvoir. L’assujettissement en théories, Paris, Leo Scheer, 2002). Peut ainsi être mise en évidence, en arrière-plan de la vision neutre et a-sexuée des élèves véhiculée au travers des curricula officiels, la possibilité de penser à nouveaux frais les conditions d’individuation du féminin (Manon Bouchareu, Interpellations à l’égalité et voix du care. De l’objectivation de la situation scolaire des filles vers des propositions alternatives, mémoire de master 2, Université Paris 8, 2012 ; Elisabeth Schirmer, De la construction socio-sexuée des élèves à l’étude des conditions d’émancipation par le féminin, mémoire de master 2, Université Paris 8, 2014).

13  Les femmes étudiées font en effet preuve d’une cognition sensible au commun et bâtie sur les raisons des autres, plus que tentée par l’universel. Ces voix, puissantes et alternatives, préservent la qualité des liens dans un monde civique d’interdépendances assumées (Carol Gilligan, Une voix différente. Pour une éthique du care [1982], Paris, Flammarion, 2008).

14  Luce Irigaray, Corps à corps avec la mère, Montréal, Pleine Lune, 1991, p. 87.

15  Christine Bouissou, « Chronique d’une sortie en ville », Les Cahiers d’Adèle, n° 5, « La ville », 2010.

16  La notion d’apeiron est reprise par Gilbert Simondon du philosophe présocratique Anaximandre (Gilbert Simondon, L’Individuation psychique et collective, Paris, Aubier Montaigne, 1989).

17  Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille plateaux, Paris, Minuit, 1980.

18  Luce Irigaray, Corps à corps avec la mère, Montréal, Pleine Lune, 1991, p. 45.

19  Karim Basbous, Avant l’œuvre. Essai sur l'invention architecturale, Paris, Éditions de l’imprimeur, 2005.

20  Par exemple quand elles constatent que « pour les garçons c’est pas pareil » : mieux tolérés qu’elles en bas de chez eux, ils n’en partent pas.

21  Christine Bouissou, « En quête des raisons de l’autre », Le Télémaque, vol. 2, n° 48, 2015, p. 65-74.

22  Karim Basbous, Avant l’œuvre. Essai sur l'invention architecturale, Paris, Éditions de l’imprimeur, 2005, p. 155.

23  « Il y a des choses que l’intelligence seule est capable de chercher mais que, par elle-même, elle ne trouvera jamais ; ces choses, l’instinct seul les trouverait, mais il ne les cherchera jamais » (Henri Bergson, « L’évolution créatrice » [1907], Œuvres, Paris, Presses Universitaires de France [PUF], 1991, p. 623).

24  Pierre Macherey, « “Il faut être absolument moderne.” La modernité, état de fait ou impératif ? », 2005. [En ligne] https://stl.univ-lille.fr [consulté le 4 mars 2017].

25  Walter Benjamin, Sur le concept d’histoire [1940], Œuvres III, Paris, Gallimard, « Folio », 2000.

26  Nathalie Sarraute, Enfance, Paris, Gallimard, 1983.

27  Yves Bonnefoy, L’Écharpe rouge, Paris, Mercure de France, 2015, p. 260.

28  Pierre Pachet, « Entretien avec Pierre Pachet », Rue Descartes, vol. 1, n° 43, 2004.

29  La relève est à entendre au sens de Aufhebung, procès inhérent à la transmission-héritage de la culture, qui tout à la fois supprime et conserve (Jacques Derrida, Qu’est-ce qu’une traduction « relevante » ?, Paris, L’Herne, 2005).

30  Gilbert Simondon, L’Individuation psychique et collective, Paris, Aubier Montaigne, 1989.

31  Pierre Macherey, Le Sujet des normes, Paris, Amsterdam, 2014, p. 111.

32  Fernand Deligny, Œuvres, Paris, L’Arachnéen, 2007, p. 1401.

33  Martin Buber, La Vie en dialogue, Paris, Aubier, 1959.

34  Julia Kristeva, Le Génie féminin. La vie, la folie, les mots. Melanie Klein, Paris, Gallimard, 2003.

35  Elle propose de définir la qualité de développement d’une région par la prise en compte des besoins primordiaux de la population, au travers de dix indices de développement personnel, commun, sociétal : le respect de la vie ; la santé ; l’intégrité physique ; les sens, l’imagination, la pensée ; les émotions ; la raison pratique ; l’affiliation ; l’attention aux vivants – animaux, plantes et nature ; le jeu ; le contrôle de son environnement (Martha Nussbaum, Capabilités. Comment créer les conditions d'un monde plus juste ?, Paris, Flammarion, « Climats », 2012).

36  Mary Parker Follett, Creative Experience, Longmans, Green, 1924.

37  Emmanuel Groutel, « Mary Parker Follett. La facette méconnue du management jardiné », Revue française de gestion, vol.2, n° 239, 2014, p. 22.

38  Georges Canguilhem, « Milieu et normes de l’homme au travail », Cahiers internationaux de sociologie, vol. III, 1947, p. 120-136.

39  Christine Bouissou, « L’accès à l’âge adulte à travers une expérience préprofessionnelle », Revue 3D (Agefa PME), n° 7, 2015, p. 80-93.

40  Virginia Woolf, Trois guinées [1938], Paris, Blackjack/Les Presses du réel, 2012.

41  Luisa Muraro, « En écoutant Françoise Collin : le prix payé et à payer pour l’exclusion des femmes », Christiane Veauvy et Mireille Azzoug (dir.), Femmes, genres, féminismes en Méditerranée, Saint-Denis, Bouchène, 2014, p. 241.

42  Luce Irigaray, J’aime à toi, Paris, Grasset, 1992, p. 17.

43  Luce Irigaray, Je tu nous, pour une culture de la différence, Paris, Grasset, 1990, p. 138.

44  Luce Irigaray, Je tu nous, pour une culture de la différence, Paris, Grasset, 1990, p. 132.

45  Luce Irigaray, Corps à corps avec la mère, Montréal, Pleine Lune, 1991, p. 40.

46  Julia Kristeva, Le Génie féminin. La vie, la folie, les mots. Melanie Klein, Paris, Gallimard, 2003, p. 395.

47  Luce Irigaray, Corps à corps avec la mère, Montréal, Pleine Lune, 1991, p. 51.

48  Christine Bouissou, « En quête des raisons de l’autre », Le Télémaque, vol. 2, n° 48, 2015, p. 65-74.

49  Joan Borrell, La Raison nomade, Paris, Payot, 1993, p. 224.

50  Georges Didi-Huberman, Survivance des lucioles, Paris, Minuit, 2009.

Christine Bouissou, « Cherchons à représenter, disent-elles. Entretenir, cultiver, instruire un possible devenir femme. », Hybrid [], 04 | 2017, 01 décembre 2017, 02 juin 2023. URL : http://www.hybrid.univ-paris8.fr/lodel/index.php?id=781

Christine Bouissou

Christine Bouissou est enseignante chercheuse en psychologie et sciences de l’éducation, au sein du Centre interdisciplinaire de recherche culture éducation formation travail (EA 4384), travaillant les questions de développement et de potentiel humain, d’animation des collectifs, de rapport des acteurs au travail et au service public d’enseignement supérieur. Auparavant, elle a tenu un poste d’administration à l’Université Paris 8 et mené une réflexion sur le développement des organisations humaines. Son approche est caractérisée par une sensibilité affirmée vis-à-vis de la pensée et de la prise de parole des femmes pour une intelligence nouvelle du féminin et pour un renouvellement d’une recherche incarnée et de son organisation. Parmi ses publications : « En quête des raisons de l’autre », Le Télémaque (vol. 2, n° 48, 2015) ; « L’accès à l’âge adulte à travers une expérience préprofessionnelle », Revue 3D (Agefa PME) (n° 7, 2015) ; « Exil du banal et retour vers l’enfance. De l’autre côté de l’expérience » (Colloque international Philosophie des frontières, Travaux et documents, PUV, n° 51, 2011) ; « Chronique d’une sortie en ville », Les Cahiers d’Adèle (n° 5, « La ville », 2010) ; « Réflexivité et pratiques de formation. Regards critiques », Carrefours de l’éducation (n° 20, 2005).