Texte intégral
- 1 Pierre Bayard, Demain est écrit, Paris, Minuit, 2005, p. 121-130.
- 2 Arthur Rimbaud, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2009, p. 347. (...)
- 3 Ralph W. Emerson, The Conduct of Life, Boston, Ticknor and Fields, 1860, p. 39.
1« Demain est écrit » : telle est la formule qu’utilise Pierre Bayard1 pour désigner son projet de « remettre la biographie à l’endroit » dans le cas des écrivains, c’est-à-dire de remonter des œuvres vers la vie, puisqu’elles marchent devant et sont annonciatrices, comme le suggérait déjà Rimbaud dans une fulgurance : « La Poésie ne rythmera plus l’action : elle sera en avant2. » Défi de philosophe initialement, la proposition me paraît devoir être prise au sérieux, moyennant naturellement un appareil d’aménagements et de précautions méthodologiques, au sujet des savants en général et, peut-être, de toutes les « vies à œuvres » (artistes, artisans d’art, etc.). Car ces vies me semblent celles qui réalisent le mieux le fantasme, qui est aussi un cauchemar, d’une « vie sans hasard », selon l’expression de Balzac, celle des héros à qui l’on a révélé un destin. Ce sont des vies à scripts robustes, chargées de jalons – d’œuvres –, qui sont comme un réservoir de formes prêtes à l’emploi. Des vies représentées avant d’être vécues, réalisées par quelques êtres singuliers qui sont, comme les qualifiait Ralph W. Emerson, « made up of rhyme, coïncidence, omen, periodicity, and presage3 ». Mais le philosophe-poète de Concord n’identifiait pas les raisons qui pouvaient expliquer cette « nature » particulière de certaines existences.
2Je voudrais suggérer ici que, dans nos sociétés, les producteurs d’œuvres intellectuelles ou manuelles, entre autres, sont de cette trempe. C’est fort de cette hypothèse qu’une anthropologie des savants – puisqu’il faut bien identifier un sous-groupe de « créateurs » pour commencer l’enquête – pourrait être utile. Celle-ci me semble en effet, de nos jours, prise dans l’impasse de l’alternative entre le côté de « la-vie-et-l’œuvre » et celui de « la-vie-de-laboratoire ». J’y reviendrai. Insister, à l’instar de Pierre Bayard, sur les effets de l’œuvre sur la vie et sur la force de ce dédoublement – l’œuvre comme une forme du double, qui me semble particulièrement aigu dans le cas des vies à œuvres, est le cœur même de l’élaboration de la notion de « vie savante » dont il sera ici question.
3Mais l’anthropologie des savants et la vie savante ne sauraient se concevoir comme des îles intellectuelles. Elles constituent à mon sens aussi des entrées privilégiées pour aborder des problèmes plus généraux auxquels la plupart des individus sont confrontés, problèmes soulignés dans les sociétés occidentales contemporaines sans leur être propres. Ces thèmes peuvent être condensés en une proposition simple : il faut avoir la vie devant soi pour conduire sa vie. Mais qu’est-ce qu’avoir la vie devant soi ? J’entends par là des phénomènes aussi différents que planifier une action, projeter son avenir, anticiper, mais aussi croire en l’existence d’un double ou le créer (avatar), se conformer à un modèle, se donner une ligne de conduite, élaborer un curriculum vitae, raconter sa vie, désirer vivre « sa » vie, etc. Car avoir la vie devant soi, c’est aussi bien regarder vers l’avenir qu’être capable d’objectiver son existence passée par la production d’objets, d’images, d’écrits, de récits, de moments qui peuvent parfois prendre la forme de petits musées personnels. Avoir la vie devant soi, c’est mettre sa vie en forme ; et mettre sa vie en forme, c’est mettre des formes dans la vie.
4Or, il me semble que les sociétés occidentales contemporaines ont doté plus d’individus de plus de ressources que n’importe quelle autre société pour répondre à cette exigence fondamentale, devenue par ailleurs explicite : « Il faut vivre sa vie. » Étudier ce processus complexe à partir de cas particuliers (les savants) m’a paru être un bon point de départ. Ils éprouvent cet effet de dédoublement – noyau de toute re-présentation de soi – plus régulièrement, sont plus volontiers autobiographes voire pour certains, pratiquent très régulièrement une première mise en forme biographique par la tenue d’un journal ou d’un carnet de recherche.
5Ce point de départ, concentré dans la formule « vie savante », peut avoir quelque chose de vertigineux, positivement et négativement. Positivement, parce que la somme des pistes à explorer procure un vertige des foisonnements, sans doute propice à la créativité. Négativement aussi, car il y a lieu de croire que l’étude de la vie scientifique, qu’elle prenne l’allure d’une description des réseaux et de la sociabilité savante, ou de la « vie de laboratoire », est parvenue à un tel niveau de balisage dans les quarante dernières années que l’on peut douter légitimement de l’émergence sur ce terrain d’une perspective originale. Mais l’horizon s’étend au-delà – c’est la vie-devant-soi, élevée au rang de concept – et la formulation problématique a une toute autre motivation de départ que celle des travaux du type « vie-et-œuvre » ou « vie-de-laboratoire ».
6Il me faut confesser que l’élaboration de l’objet a un effet de surprise, et la réflexion qui en découle autour de la représentation de soi résulte d’une surprise intellectuelle, qui est le repérage d’un petit paradoxe, d’une singularité un peu excessive. Et l’intuition qu’il y avait là un objet à construire s’est confirmée quand j’ai constaté la répétition du paradoxe ou la reproduction de la singularité. N’est-ce pas là le symptôme que des règles président au surgissement de ces particularités, règles dont la mise au jour est l’une des ambitions fondamentales de la recherche en anthropologie, sinon de toute recherche ? Il s’agit, dans le cas qui nous occupe, d’une même situation retrouvée à plusieurs décennies d’intervalle sans que la « reproduction » n’ait eu connaissance (à ma connaissance) de l’original.
- 4 Pierre Bourdieu, Un art moyen. Essai sur les usages sociaux de la photographie, Paris, Minuit, 196 (...)
- 5 Pierre Bourdieu, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, t. 62, n (...)
- 6 Pierre Bourdieu, Esquisse pour une auto-analyse, Paris, Raisons d’Agir, 2004.
7Cette situation est celle d’un sociologue disposant d’une certaine notoriété et ayant développé une sociologie critique, en particulier à partir des champs artistiques et des élites intellectuelles. À un moment de sa carrière, il propose une critique virulente de la biographie comme mode de production de connaissance avant de se lancer, quelques années plus tard, dans un projet d’allure biographique. La version contemporaine de cette situation est représentée par Pierre Bourdieu. Après avoir analysé les modes de reproduction des élites intellectuelles et proposé une sociologie critique du goût artistique dont l’étude de cet « art moyen » qu’est la photographie fut comme le laboratoire4, il dénonce en 1986 « l’illusion biographique5 », puis rédige une quinzaine d’années plus tard l’Esquisse pour une auto-analyse6 pour laquelle il indique cependant en exergue : « Ceci n’est pas une autobiographie. »
- 7 Siegfried Kracauer, History : The Last Things Before the Last, New York, Oxford University Press, (...)
- 8 Jean-Claude Passeron et Jacques Revel (dir.), Penser par cas, Paris, Éditions de l’EHESS, 2005. Po (...)
- 9 Jacques Revel (dir.), Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Paris, Gallimard/Seuil, 19 (...)
8Or, en dépit du caractère tout à fait exceptionnel de son œuvre, Pierre Bourdieu a en fait un précédent dans l’histoire de la sociologie, une sorte d’original dont il n’est pas la copie mais avec lequel la proximité ne laisse pas de surprendre. Il s’agit du sociologue Siegfried Kracauer (1889-1966), qui reste aujourd’hui surtout lu pour ses théories de l’histoire7. Il ne considérait d’ailleurs cette discipline ni comme une science à part entière ni comme un art véritable, mais comme un mode de saisie des « entités singulières » – presque des cas au sens de Jacques Revel et Jean-Claude Passeron8 – et dont la démarche privilégiée devait être d’après lui le « changement de focale » selon une « loi des niveaux » qu’il recherchait et qui n’est ni sans évoquer les « jeux d’échelles » mis sur le devant de la scène dans les années 19909, ni sans interroger très directement la question de la représentation.
- 10 Siegfried Kracauer, Les Employés. Aperçus de la nouvelle Allemagne [1929], trad. Claude Orsini, Pa (...)
9Mais il est également l’un des pionniers de la sociologie de la photographie, et des médias d’une manière plus générale, dont le cinéma qui est pour lui l’un des traits essentiels de la vie moderne qu’il s’applique à décrypter de façon critique, comme son contemporain et ami Walter Benjamin. Inclassable et touche-à-tout, Kracauer est également écrivain, ethnographe même de la « classe sans conscience » des employés berlinois10, célébré à ce titre par Walter Benjamin qui décrit son auteur comme le « chiffonnier » de la vie moderne, qualificatif à haute valeur ajoutée puisqu’il signifiait par là que même l’objet en apparence le moins noble ou le plus insignifiant pouvait être digne d’intérêt et constituer un poste d’observation privilégié de profondes transformations.
- 11 Siegfried Kracauer, « Die Biographie als neubürgerliche Kunstform » (« La biographie, forme d’art (...)
- 12 On la retrouvera un peu plus tard, problématisée d’une façon différente lui conférant une plus gra (...)
10Critique littéraire également, Siegfried Kracauer est de ceux qui ont identifié, au sein de la crise générale (de la raison, des sciences, du monde) au début du xxe siècle, une « crise du roman » qui n’est pas selon lui, comme on pourrait le penser de prime abord, une crise de second ordre. En effet, il y identifie plus spécifiquement une « crise du personnage » (telle qu’elle apparaît dans Gide, Kafka, Musil ou Joyce) traduisant pour lui une « crise de l’individu » qui aurait « perdu [ses] contours11 ». L’expression, superbe12, indique que l’individu n’est plus l’unité pertinente pour discriminer le réel, car il est d’une part saisi par les masses ou les foules qui sont les nouvelles échelles de l’action et de la conscience, et d’autre part emporté par des pulsions et des flux inconscients qui sont les véritables moteurs de son identité, de son dire et de son faire. Le double essor de la sociologie et de la psychologie des foules d’un côté, et de la psychanalyse de l’autre auront ainsi fait s’effondrer, pour l’avant-garde intellectuelle, les contours de l’individu.
- 13 Siegfried Kracauer, « Die Biographie als neubürgerliche Kunstform » (« La biographie, forme d’art (...)
11Plus exactement, se sont effondrées l’autonomie et la souveraineté de l’individu. Et c’est dans ce cadre que Kracauer dénonce en 1930, dans un essai intitulé « La biographie, forme d’art de la nouvelle bourgeoisie13 » qui paraît dans le Frankfurter Zeitung où il avait la charge des rubriques consacrées à la littérature et au cinéma, la mode contemporaine des biographies qui lui apparaissent comme une résistance pathétique, ringarde et bourgeoise à la disparition irréversible de l’individu-roi.
- 14 Siegfried Kracauer, Jacques Offenbach ou le secret du Second Empire [1937], trad. Lucienne Astruc, (...)
12Or, quelques années plus tard, en 1937, le sociologue entreprend lui-même la rédaction d’une biographie, celle du champion de l’opérette et inventeur de l’opéra bouffe sous le Second Empire : Jacques Offenbach14. Mais la contradiction n’est qu’apparente et Siegfried Kracauer s’en explique. Offenbach n’est qu’un prétexte, un angle de vue pour examiner l’ensemble de la vie sociale et politique sous le Second Empire.
13Et c’est justement à la photographie qu’il a recours pour expliquer les tenants et les aboutissants de sa démarche. Kracauer reprochait notamment aux sciences historiques et sociales de ne pas assez utiliser le modèle photographique de mise au jour du réel, recourant aux variations de points de vue et de mises au point, aux changements de focales, tenant compte du rôle et de la nécessité de dispositifs d’éclairage qui ne rendent pas pour autant la situation « artificielle ». Car la « situation » n’existe tout simplement pas sans artifice. Dans le même esprit, il reprochait aux biographes traditionnels leurs goûts pour le portrait net au premier plan (alors même que l’individu avait « perdu ses contours ») baignant dans un fond au flou « artistique ». Ce qu’il propose avec son Offenbach est exactement l’inverse : un portrait « flou » (ce qui, visuellement, rend tout à fait compte de l’individu qui perd ses contours) reposant sur un fond très net. La mise au point est faite sur le fond.
- 15 Pierre Bourdieu, Esquisse pour une auto-analyse, Paris, Raisons d’Agir, 2004, p. 140.
- 16 Pierre Bourdieu, Esquisse pour une auto-analyse, Paris, Raisons d’Agir, 2004, p. 142.
- 17 Avec une autre intention, mais dans une perspective assez complémentaire, on pourra lire la manièr (...)
14Au sein de cette singularité répétée qu’est le rejet radical de la biographie par deux sociologues importants, aux intérêts proches, qui finissent par proposer une forme biographique à leur tour, Pierre Bourdieu et Siegfried Kracauer manifestent cependant un vif contraste. D’un côté, Pierre Bourdieu entreprend un projet de sociologie d’une vie intellectuelle (la sienne, en l’occurrence), au moins pour fournir les informations qu’il aurait lui-même aimé trouver en travaillant sur Flaubert ou Manet15. Mais il s’y consacre également pour se prêter, comme il le dit très clairement, à « l’identification réaliste » par des plus jeunes (et non « à une projection exaltée »), car cela pourrait leur permettre « de faire et de vivre un tout petit mieux ce qu’ils vivent et ce qu’ils font16 ». De son côté, Siegfried Kracauer propose, non la sociologie d’une vie, mais une biographie sociale (celle d’un temps, le Second Empire, d’un milieu, Paris et sa bourgeoisie, dont le biographé est fait). De l’un à l’autre, le chiasme est presque parfait17.
15Il me semble que, à compter des années 1930, la biographie scientifique ou intellectuelle, qui constitue un genre à part entière, a suivi le modèle de Kracauer. La mise au point s’est faite sur le fond, rendant compte de la pluralité et de l’enchevêtrement des contextes, d’où émerge en surimpression le contour presque effacé d’un individu composé des morceaux du « fond » dont il se détache à peine. Cela donne ainsi à ces biographies l’allure des portraits d’Arcimboldo qui montrent des personnages faits de la matière même de leurs fonctions ou de leurs « natures » supposées.
16Or, cette forme courante de la biographie scientifique renvoie, de mon point de vue, à deux idoles actuelles de l’histoire et de la sociologie des sciences : l’idole de l’environnement d’une part, et l’idole de la matérialité, qui est une spécialisation de la première, d’autre part. Deux dimensions sans conteste tout à fait importantes dans la vie des idées scientifiques, mais dont l’accentuation contemporaine tend à passer sous silence d’autres aspects qui pourraient tout autant attirer l’attention.
17L’idole de l’environnement est tout entière exprimée dans l’idée que l’explication d’une œuvre (comme du fait scientifique, voire artistique ou littéraire) passe par, et même s’épuise dans la restitution de son contexte (ou de ses contextes) de production, c’est-à-dire l’exposition de ses conditions environnementales. Ce phénomène peut prendre des formes très différentes. Mais, pour schématiser, il est possible de les organiser entre deux pôles.
18D’un côté, celui de la-vie-et-l’œuvre : pôle très actif et dynamisant, notamment dans la tradition anglo-saxonne de la biographie scientifique. On pourrait le nommer le « côté de Sainte-Beuve ». La conviction qui le gouverne est celle que la vie du créateur, ici du scientifique, explique l’œuvre, l’annonce, la justifie.
- 18 Pour une autre perspective critique de la démarche de la « vie de laboratoire », on pourra se repo (...)
19De l’autre côté, le pôle de la-vie-de-laboratoire, celui de Bruno Latour pour le blasonner rapidement. Mais pour conserver une proximité et en même temps exprimer la distance avec le précédent, il me semble plus opportun d’en faire le « côté de Gustave Lanson ». Le fondateur de la nouvelle critique littéraire au tournant des xixe et xxe siècles s’était ouvertement exprimé contre la démarche de Sainte-Beuve et se situait dans la mouvance « scientiste » (celle de la méthode historique en particulier) pour laquelle l’œuvre ne s’explique plus par la vie privée de son producteur, mais par la restitution de l’ensemble des contextes et des acteurs périphériques. Expliquer revient ainsi à contextualiser. En ce sens, et en forçant le trait, la-vie-de-laboratoire peut sembler une forme de néo-lansonisme où le « fond » (l’idée que « la science est sociale ») et la totalité des agents (humains et non-humains) qui le composent et sont impliqués dans la production de l’œuvre ou du fait scientifique, sont simplement plus épais et plus nombreux que chez Lanson. La véritable différence – mais qui n’est qu’une version extrême de la tendance générale à la mise au point sur l’arrière-plan qui fait disparaître l’individu et ses contours – se situe dans le fait que ce « fond » est hissé au niveau du « personnage principal ». Ce n’est plus ici, comme chez Kracauer, le personnage qui est rabattu sur le fond. Le mouvement s’est inversé. L’ancien « fond », massif, inerte ou paysager, a disparu du fait même de son « élévation » au profit d’un composé d’éléments qui sont autant de « personnages principaux » et ont valeur égale d’agents. L’ensemble se trouve ainsi au premier plan parce que, en fin de compte, il n’est plus qu’un seul plan18. Avec la disparition de la profondeur, c’est aussi le problème de la représentation qui est évacué.
- 19 Christopher Lawrence et Steven Shapin, « Introduction : The Body of Knowledge », in Christopher La (...)
- 20 Parmi d’autres, je renvoie aux différents essais qui composent le deuxième volume de l’entreprise (...)
20Par ailleurs, l’idole environnementale a connu, dans les dernières années, un traitement spécifique presque autonome qui constitue à lui seul un nouveau fétiche, celui de la matérialité. Il faut se référer ici aux travaux, nombreux et en grande partie initiés par les recherches séminales conduites par Steven Shapin autour de la « science incarnée19 », qui établissent, à juste titre et de façon tout à fait fine dans plusieurs cas20, que le premier environnement du savant est formé par son bureau, son armoire, ses livres, les outils technologiques et les techniques de production de l’œuvre (l’écriture notamment) dont il dispose, mais aussi ses outils bio-physiques (spécialement la main). La première « contrainte extérieure » du savant, c’est son corps.
- 21 Sur cette question de l’examen du processus créateur (dans les sciences et les arts), je me permet (...)
21Ces perspectives sont importantes en ce qu’elles permettent d’élargir le spectre, dont on a incontestablement besoin dans son étendue maximale et ses éléments les plus divers, des contraintes et des déterminations extérieures. Mais, à s’en tenir à cet exposé, il me semble que ces perspectives restent défaillantes en ce que certains des travaux qui en relèvent laissent entendre que l’entreprise de description exhaustive de l’environnement savant est, dans le même temps, un travail d’explication du processus créateur alors que nous est simplement livré, ce qui représente déjà beaucoup, un état détaillé des conditions de la création21.
22Car aller jusqu’à la description des manières dont l’accord scientifique s’effectue sur le « fait » ou sur la « preuve », c’est sans doute mener loin l’investigation de la vie scientifique, mais c’est encore s’arrêter sur le seuil de la manière dont la vie savante se conduit et par quoi elle est conduite. Cet arrêt n’a cependant rien d’un échec puisqu’il est revendiqué en tant que tel dans la mesure où il y a justement la volonté d’une description « objective » de la science, qui cherche pour cela à se passer des « mots de la tribu » pour mettre à distance les phénomènes qui agissent la tribu (ici, des scientifiques). Or, il est un point où cette contrainte méthodologique interdit la compréhension de certains faits qui nécessitent précisément d’être décrits avec les termes et les outils du groupe, et ne peuvent être décelés qu’au prix d’une certaine dose d’identification.
23Il n’est pas difficile de comprendre cependant la logique qui a pu présider à ce type de propositions pour baliser le programme de la nouvelle « science de la science ». Il s’agissait de réagir, d’une part, aux illusions toujours prégnantes de la puissance et de l’autonomie de l’esprit comme de la liberté de la création. Mais, d’autre part, il y avait aussi une critique, parfois explicite, d’une certaine herméneutique des œuvres qui proposait l’étude des productions intellectuelles du dedans de ces productions mêmes, c’est-à-dire depuis les œuvres et avec leur vocabulaire. Si l’on a surinvesti l’extérieur et l’environnement, c’était également pour contrer les dérives, réelles, des interprétations en vase clos.
24Cependant, n’a-t-on pas, dans les deux cas, renoncé un peu trop rapidement à des outils ou à des dimensions qui permettent d’approcher d’autres ressorts du processus créateur ? Il est incontestable qu’il était raisonnable d’abandonner cette histoire des idées qui se tramait dans le ciel des idées. Mais cela ne concernait pas nécessairement l’herméneutique des années 1970, ni la « nouvelle critique » avant elle, qui postulaient simplement que l’« extérieur » n’était pas donné à l’avance et qu’il était nécessaire de le construire à partir de l’objet même. Dans le même esprit, l’on a réagi avec raison aux excès de la psychocritique des années 1960 qui cherchait à dégager les ressorts de l’œuvre des différents complexes (au sens psychanalytique du terme) du savant.
- 22 Dans le sens que Paul Valéry donne à cette expression et dont les Cahiers sont en quelque sorte le (...)
- 23 Albert Béguin, Gérard de Nerval, Paris, José Corti, 1945.
- 24 Jacques Lacan, « Le mythe individuel du nevrosé » [1953], Ornicar ?, n° 17-18, 1978, p. 290-307. (...)
- 25 Charles Mauron, Des métaphores obsédantes au mythe personnel, Paris, José Corti, 1983.
- 26 Gerald, Holton, L’Invention scientifique. Themata et interprétation, Paris, Presses Universitaires (...)
- 27 Thomas Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques [1969], trad. Laure Meyer, Paris, Flammari (...)
25Or, cette psychocritique me semble mériter de retenir l’attention, à tout le moins pour le souci qu’elle a eu de se confronter explicitement à la résolution d’une question difficile : celle du mystère de la « vie de l’esprit22 ». Pour ce faire, elle développait un outil, le « mythe personnel », aujourd’hui assez abandonné ou oublié, qu’il me paraîtrait intéressant de remobiliser pour repenser la manière qu’ont les figures savantes de s’ordonner : de quelles façons produisent-elles de la cohérence interne ? Comment le savoir « être savant » se transmet-il ? De quelles manières ce savoir se transforme-t-il en dehors des institutions de « reproduction » ? Le concept avait été façonné dans le cadre de la critique littéraire par Albert Béguin à partir de l’examen de la figure de Gérard de Nerval et de ses obsessions, dans Aurélia notamment23. La notion a ensuite été reprise par Jacques Lacan24 pour caractériser cet ensemble de motifs qui unifient les différents registres d’un individu (son imaginaire, ses relations sociales, son mode de raisonnement, ses complexes, son œuvre le cas échéant ; Lacan évoque notamment le cas de Goethe), puis par la psychanalyse des textes littéraires qu’a pu développer au début des années 1980 Charles Mauron25. Il y a ici une proximité apparente avec la notion de themata mise au point par Gerald Holton dans ses travaux de sociologie des sciences26 qu’il faut éclaircir. Car les themata, ce sont moins les ressorts individuels que les motifs qui constituent un mythe collectif. Holton emblématise par ce biais les manières dont un savant adhère à son groupe par le partage d’obsessions collectives (idées, valeurs, principes, etc.) qui font partie de la vie de la « science normale » selon l’expression consacrée de Thomas Kuhn27. Les themata disent les modalités de l’attachement à la science normale. Le mythe personnel, à l’inverse, désigne les modes de production de l’attachement à soi. Ou comment « bien » se re-présenter.
- 28 Hannah Arendt, Journal de pensée, trad. Sylvie Courtine-Denamy, Paris, Seuil, 2005, p. 169-170.
26C’est à ce niveau que le « mythe personnel » rejoint la perspective de la « vie savante ». Je reformule l’hypothèse centrale qui la supporte : il y a un retour de l’œuvre vers la vie qui permet, avec plus de régularité que chez d’autres individus, de penser son existence d’une manière neuve, de l’unifier davantage, de la projeter vers l’avant, sous la pression d’une angoisse récurrente de la rupture intérieure. C’est un caractère qu’Hannah Arendt avait noté dans son Journal de pensée comme une propriété du génie, où l’angoisse de ne pas être à la hauteur de son œuvre et de subir le poids de cette division désigne le savant extraordinaire par opposition d’une part à « l’intellectuel » qui s’estime toujours à la hauteur de ses écrits, eux-mêmes surestimés, et d’autre part aux individus ordinaires qui valent toujours plus que ce qu’ils font ou que ce qu’ils pourraient faire28.
- 29 Thomas Nagel, Le Point de vue de nulle part [1986], trad. Sonia Kronlund, Paris, Éditions de l’écl (...)
27Et je tiens encore à insister sur un point essentiel. Tous les individus pratiquent, à des degrés différents, ce travail intuitif d’unification et de mise en ordre (ne serait-ce que pour raconter leur vie, anticiper, résoudre des incertitudes, etc.) ; et tous sont traversés par ce que Thomas Nagel29 appelle la confrontation des « points de vue », intérieur et extérieur. La perspective intérieure et subjective est celle qui fait que notre existence est importante à nos yeux (le fait même de la vivre la rend très sensible, très présente et très préoccupante), que notre naissance est un événement évident et nécessaire, et notre mort une fin dramatique. En contrepartie, la perspective extérieure et objective rend notre existence sans importance aucune (noyée dans la multitude de toutes les autres), notre naissance un fait au plus haut point aléatoire (soumise à de tels concours de circonstances qu’il y avait infiniment plus de chances de trouver un monde dans lequel nous n’existions pas que ce monde dans lequel nous existons), notre mort un fait qui peine à être vraiment un événement.
- 30 Marc Augé, La Vie en double. Ethnologie, voyage, écriture, Paris, Payot, 2011.
28Mais les savants (comme les écrivains et comme les artistes, comme les « êtres-à-œuvres » plus généralement peut-être) semblent avoir cette propriété d’accentuer ce principe de division puisque leur activité professionnelle les conduit à aiguiser le point de vue extérieur et objectif qu’ils peuvent appliquer à eux-mêmes plus souvent que d’autres individus. Le travail intellectuel rend la division de la personne très nette et met dès lors au jour ce travail constant, pratiqué encore une fois par tous les individus, qui vise à triompher de la division, travail prenant chez les savants un côté particulièrement théâtral qu’instaurent et/ou renforcent les motifs biographiques de la conversion, de la rupture, de la « vie en double30 », voire en triple ou en quadruple.
- 31 C’est tout l’enjeu d’un programme de recherche en cours que je dirige à Toulouse, financé par l’AN (...)
- 32 Le souhait en avait été émis par Roland Barthes dans un texte de 1946, longtemps resté inédit, cri (...)
- 33 Pierre Bayard, Demain est écrit, Paris, Minuit, 2005, p. 121-130.
29La notion de « vie savante » va donc en quelque sorte à rebours de la démarche même de la biographie scientifique, sans la discréditer entièrement31. Car partir de l’œuvre pour aller vers la vie32, ce n’est pas renier le genre biographique. C’est justement vouloir le « mettre à l’endroit », comme le dit Pierre Bayard33. Mais l’on est en cela si éloigné des attendus de la biographie ordinaire – la re-présentation pour les autres du parcours d’un individu – qu’on peinerait à y reconnaître vraiment de la biographie comme genre. Ce qui n’est pas un problème en soi, puisqu’il n’a jamais été question d’écrire pour un genre. Cependant, si l’on voulait labelliser la démarche, je tiendrais à ce que l’on la qualifie de biographie déchaînée, c’est-à-dire non soumise au déroulé chronologique imposé de l’extérieur et absolu. Cela ne va pas sans poser immédiatement des problèmes méthodologiques importants, dont ceux de l’écriture même de telles biographies : quels modes de restitution adopter ou inventer pour ces biographies déchaînées ? Ce problème rejoint celui d’une représentation d’une vie au second degré, c’est-à-dire le tableau des différents autoportraits que l’individu a eu l’occasion de réaliser tout au long de son existence et dont les œuvres intellectuelles ont fourni soit le prétexte, soit la matière, soit les formes, parfois les trois ensemble.
- 34 Gregory Bateson, « La cybernétique du “soi” : une théorie de l’alcoolisme » [1971], Vers une écolo (...)
30Déchaînée, cette approche biographique le serait donc d’abord par son souci de se passer de l’épuisement explicatif dans un répertoire des déterminations extérieures. Ce qui ne signifie pas pour autant que l’idée des facteurs extérieurs et du rôle qu’ils jouent dans le processus créateur soit rejetée absolument. Mais le problème de la « vie savante » est ailleurs. Il est, je crois, plus exigeant et plus difficile. En effet, identifier les contraintes « extérieures » suppose que l’on ait une idée relativement robuste de ce qu’est l’extérieur. Rien n’est moins sûr cependant, comme l’a révélé l’interrogation de Siegfried Kracauer sur le « flou » de l’individu, puis la lecture de Gregory Bateson34 : où s’arrête le soi savant ? à son corps ? à sa main ? aux outils qu’il manipule ? à la portée de sa voix ? Pour le dire à la manière de Siegfried Kracauer : où sont ses contours ? Ainsi, si les facteurs extérieurs ne constituent pas un élément central dans la démarche que j’entreprends, c’est aussi parce que je pars du principe que l’extérieur ne nous est pas immédiatement donné et que nous ne pouvons être certains ni de ses limites ni de sa nature.
- 35 Gregory Bateson, « Pourquoi les choses ont-elles des contours ? » [1953], Vers une écologie de l’e (...)
31Mais allons plus loin encore. Je ne suis pas convaincu qu’un tel partage (extérieur/intérieur) ait la pertinence absolue qu’il semble avoir. C’est exactement la question que posait, ailleurs, Gregory Bateson35 : pourquoi faut-il que les choses (cela vaut aussi pour les individus) aient des contours ? Il paraît, à le suivre, plus efficace de s’appliquer à rendre compte de continuités épaisses au sein des situations vécues qui n’auront pas nécessairement l’allure de systèmes. Et c’est exactement ce qu’il faudrait chercher à faire en travaillant les deux sens de l’action (de la vie vers l’œuvre et de l’œuvre vers la vie), en ne s’arrêtant pas aux motifs saillants de coupure (illuminations, conversions, bifurcations) mais en insistant sur le travail de suture – les autoportraits – qu’ils impliquent.
- 36 Pour un cas tout à fait « représentatif » de cette tendance, ce qui n’enlève rien à la très haute (...)
- 37 Cité par Emmanuelle Loyer, Lévi-Strauss, Paris, Flammarion, 2015, p. 17.
- 38 Illustratifs, entre autres, de cette approche par la conversion, les travaux de George W. Stocking (...)
32Cet examen de la suture est souvent manquant dans les biographies, ou simplifié à l’extrême, alors même que l’on grandit les vies coupées, multiples des savants comme s’il s’agissait là d’exceptions. Cela procure d’ailleurs au biographe, dans de très nombreux cas, le plan de son ouvrage36. Mais on perd de vue que la multiplicité est la règle de la vie savante. Est exceptionnel, non l’homme multiple (qui est l’homme « commun », tous les travaux l’ont établi de Gilles Deleuze à Bernard Lahire en passant par Alain Ehrenberg), mais au contraire l’homme synthétique, à savoir celui qui s’applique à faire s’accorder exactement les différents registres de son existence, sa vie et son œuvre notamment (d’où l’inquiétude « savante » selon Hannah Arendt qu’elles ne se correspondent pas). Or, si l’homme synthétique est exceptionnel, le travail de la synthèse est en revanche très commun. Car la synthèse est essayée en permanence (de façon plus ou moins explicite). C’est ce qui fait que l’on espère pouvoir, en repérant ce travail, dégager le « mythe personnel » ou, pour reprendre le mot de Claude Lévi-Strauss à propos de Roman Jakobson, « la parenté saisissante entre l’homme et son œuvre37 ». La « parenté saisissante », ce n’est pas la vie qui explique l’œuvre ; et ce n’est pas, non plus, la capacité à convertir des interrogations personnelles en problèmes scientifiques et/ou en questions sociales, qui est un autre ressort de la biographie scientifique traditionnelle38.
33C’est plutôt le fait que les œuvres marchent devant la vie de celui qui les produit, qu’elles offrent une relecture du passé – ne serait-ce que par des « états de la question » qui sont souvent l’occasion d’un retour sur ses propres travaux – et qu’elles exercent une pression sur l’avenir, non immédiatement en ce qu’elles annonceraient la vie à venir mais parce qu’elles rendent sensibles à certaines opérations mentales et à certains modes de raisonnement. Elles font repérer des rapports et éduquent notre attention d’une manière particulière qui peut être activée dans plus d’occasions que celles fournies par le simple travail intellectuel. Ainsi, si l’œuvre ne donne pas l’avenir, elle met en revanche du présent en réserve qui pourra être retrouvé plus tard.
- 39 Certaines ont été réunies dans Nicolas Adell et Jérôme Lamy (dir.), Ce que la science fait à la vi (...)
34Or, ce présent en réserve alimente justement la « division » de la personne, division dont il faut s’assurer (mais « s’assurer » est trop direct et trop conscient) qu’elle demeure « vivable ». C’est l’objet, je crois, de toute une série d’opérations plus ou moins réflexives qu’il faudrait repérer à partir d’études de cas précisément situées39. Et comme il est nécessaire que des traces de ce travail et de ses opérations nous soient visibles, il faut que celles-ci soient assez importantes : d’où l’intérêt pour les savants, qui éprouvent une division plus nette que d’autres individus. Et pour encore mieux examiner ce travail, il faudrait être en présence d’une réflexivité assez continue et de régime élevé (qui ferait que cette épreuve se situerait à un niveau de conscience qui nous la rendrait accessible), état qu’implique notamment l’expérience d’une division nette ou d’une rupture très franche : d’où, parmi les savants, l’intérêt spécifique que l’on pourrait porter aux anthropologues, qui peuvent fournir dans leurs notes, carnets et correspondances de terrain, mais également dans des passages de leurs œuvres publiées (puisque la construction de l’objet passe aussi par un travail sur sa propre posture), un éventail des formes que peut prendre ce travail réflexif.
- 40 On compte pour Georges Balandier plus d’une demi-douzaine d’autobiographies, échelonnées entre Tou (...)
35Ces différents examens devraient permettre de produire une biographie des actes autobiographiques, ou plus exactement des actes autopoïétiques récurrents dont certains seulement sont autobiographiques. Parmi ces derniers un seul – ou plusieurs, comme dans le cas de Georges Balandier40 – prend le nom d’autobiographie.
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Notes
Pierre Bayard, Demain est écrit, Paris, Minuit, 2005, p. 121-130.
Arthur Rimbaud, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2009, p. 347.
Ralph W. Emerson, The Conduct of Life, Boston, Ticknor and Fields, 1860, p. 39.
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Pierre Bourdieu, Esquisse pour une auto-analyse, Paris, Raisons d’Agir, 2004.
Siegfried Kracauer, History : The Last Things Before the Last, New York, Oxford University Press, 1969.
Jean-Claude Passeron et Jacques Revel (dir.), Penser par cas, Paris, Éditions de l’EHESS, 2005. Pour la jonction entre les « cas exemplaires » de Siegfried Kracauer, qu’il utilise notamment dans Les Employés. Aperçus de la nouvelle Allemagne [1930] (Paris, Éditions de la MSH, 2004), et la « pensée par cas », on pourra lire l’analyse proposée par Jacques Revel (« Siegfried Kracauer et le monde d’en bas », in Siegfried Kracauer, L’Histoire – Des avant-dernières choses, trad. Claude Orsoni, Paris, Stock, 2006, p. 7-42).
Jacques Revel (dir.), Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Paris, Gallimard/Seuil, 1998. Pour un bilan sur la redécouverte et la lecture contemporaine de Siegfried Kracauer par les historiens, cf. Philippe Despoix et Peter Schöttler (dir.), Siegfried Kracauer, penseur de l’histoire, Québec, Presses de l’Université Laval, 2006.
Siegfried Kracauer, Les Employés. Aperçus de la nouvelle Allemagne [1929], trad. Claude Orsini, Paris, Éditions de la MSH, 2004.
Siegfried Kracauer, « Die Biographie als neubürgerliche Kunstform » (« La biographie, forme d’art de la nouvelle bourgeoisie ») [Frankfurter Zeitung, 29 juin 1930], L’Ornement de la masse. Essais sur la modernité weimarienne, trad. Sabine Cornille, Paris, La Découverte, 2008, p. 83.
On la retrouvera un peu plus tard, problématisée d’une façon différente lui conférant une plus grande ampleur, sous la plume de Gregory Bateson, « Pourquoi les choses ont-elles des contours ? » [1953], Vers une écologie de l’esprit 1, trad. Ferial Drosso, Laurencine Lot et Eugène Simon, Paris, Seuil, « Points », 1977, p. 55-60.
Siegfried Kracauer, « Die Biographie als neubürgerliche Kunstform » (« La biographie, forme d’art de la nouvelle bourgeoisie ») [Frankfurter Zeitung, 29 juin 1930], L’Ornement de la masse. Essais sur la modernité weimarienne, trad. Sabine Cornille, Paris, La Découverte, 2008, p. 82-86.
Siegfried Kracauer, Jacques Offenbach ou le secret du Second Empire [1937], trad. Lucienne Astruc, Paris, Gallimard, 1994.
Pierre Bourdieu, Esquisse pour une auto-analyse, Paris, Raisons d’Agir, 2004, p. 140.
Pierre Bourdieu, Esquisse pour une auto-analyse, Paris, Raisons d’Agir, 2004, p. 142.
Avec une autre intention, mais dans une perspective assez complémentaire, on pourra lire la manière dont Vincent Debaene contraste le projet bourdieusien de l’Esquisse avec celui de l’historien de l’anthropologie George Stocking Jr. proposant une plongée dans sa « boîte noire » ; Vincent Debaene, « Un anthropologue et sa boîte noire. L’essai d’ego-histoire de George Stocking », Critique, n° 793-794, 2013, p. 556-573.
Pour une autre perspective critique de la démarche de la « vie de laboratoire », on pourra se reporter au texte vif de François-André Isambert, « Un “programme fort” en sociologie de la science ? », Revue française de sociologie, t. 26, n° 3, 1985, p. 485-508.
Christopher Lawrence et Steven Shapin, « Introduction : The Body of Knowledge », in Christopher Lawrence et Steven Shapin (dir.), Science Incarnate. Historical Embodiements of Natural Knowledge, Chicago/Londres, The University of Chicago Press, 1998, p. 1-20.
Parmi d’autres, je renvoie aux différents essais qui composent le deuxième volume de l’entreprise des Lieux de savoir dirigée par Christian Jacob (Les Mains de l’intellect, Paris, Albin Michel, 2011) et à la recension analytique que j’ai pu en proposer (Nicolas Adell, « La pensée donnée à voir », EspacesTemps.net, 2011. [En ligne] http://www.espacestemps.net/articles/la-pensee-donnee-a-voir/ [consulté le 13 février 2017]). Pour une synthèse historique récente de cette perspective, cf. Françoise Waquet, L’Ordre matériel du savoir. Comment les savants travaillent (xvie-xxie siècle), Paris, CNRS Éditions, 2015.
Sur cette question de l’examen du processus créateur (dans les sciences et les arts), je me permets de renvoyer à Nicolas Adell, « Des vies créatives », L’Homme, n° 217, 2016, p. 109-122.
Dans le sens que Paul Valéry donne à cette expression et dont les Cahiers sont en quelque sorte le compte rendu au jour le jour.
Albert Béguin, Gérard de Nerval, Paris, José Corti, 1945.
Jacques Lacan, « Le mythe individuel du nevrosé » [1953], Ornicar ?, n° 17-18, 1978, p. 290-307.
Charles Mauron, Des métaphores obsédantes au mythe personnel, Paris, José Corti, 1983.
Gerald, Holton, L’Invention scientifique. Themata et interprétation, Paris, Presses Universitaires de France (PUF), 1982.
Thomas Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques [1969], trad. Laure Meyer, Paris, Flammarion, 1982, p. 47.
Hannah Arendt, Journal de pensée, trad. Sylvie Courtine-Denamy, Paris, Seuil, 2005, p. 169-170.
Thomas Nagel, Le Point de vue de nulle part [1986], trad. Sonia Kronlund, Paris, Éditions de l’éclat, 1993, p. 249-256.
Marc Augé, La Vie en double. Ethnologie, voyage, écriture, Paris, Payot, 2011.
C’est tout l’enjeu d’un programme de recherche en cours que je dirige à Toulouse, financé par l’ANR : « La vie savante. Vers une renouvellement du genre biographique dans les sciences studies (Anthropologie – Ethnologie, xixe–xxie siècles) ». On pourra en trouver les arguments principaux à l’adresse suivante : http://visa.hypotheses.org. Pour une première élaboration de la notion, je me permets de renvoyer à Nicolas Adell, « La vie savante. Perspectives morphologiques », in Nicolas Adell et Jérôme Lamy (dir.), Ce que la science fait à la vie, Paris, Éditions du CTHS, 2016.
Le souhait en avait été émis par Roland Barthes dans un texte de 1946, longtemps resté inédit, critiquant les démarches beuvienne et lansonienne : « On a bien vu la détermination de l’auteur sur l’œuvre ; mais s’est-on suffisamment attaché à déceler l’action inverse de l’œuvre sur l’auteur […] ? » (Roland Barthes, « L’avenir de la rhétorique » [1946], Album. Inédits, correspondances et varia, édition établie par Éric Marty, Paris, Seuil, 2015, p. 139).
Pierre Bayard, Demain est écrit, Paris, Minuit, 2005, p. 121-130.
Gregory Bateson, « La cybernétique du “soi” : une théorie de l’alcoolisme » [1971], Vers une écologie de l’esprit 1, trad. Ferial Drosso, Laurencine Lot et Eugène Simon, Paris, Seuil, « Points », 1977, p. 275.
Gregory Bateson, « Pourquoi les choses ont-elles des contours ? » [1953], Vers une écologie de l’esprit 1, trad. Ferial Drosso, Laurencine Lot et Eugène Simon, Paris, Seuil, « Points », 1977, p. 55-60.
Pour un cas tout à fait « représentatif » de cette tendance, ce qui n’enlève rien à la très haute qualité de l’ouvrage, on pourra consulter la biographie d’Edward Sapir par Regna Darnell, Edward Sapir. Linguist, Anthropologist, Humanist [1989], Lincoln/Londres, University of Nebraska Press, 2010.
Cité par Emmanuelle Loyer, Lévi-Strauss, Paris, Flammarion, 2015, p. 17.
Illustratifs, entre autres, de cette approche par la conversion, les travaux de George W. Stocking sur Franz Boas et son cercle ; cf. notamment George W. Stocking, « The Basic Assumptions of Boasian Anthropology », in Franz Boas, A Franz Boas Reader. The Shaping of American Anthropology, 1883-1911, édité par George W. Stocking, New York, Basic Books, 1974, p. 1-20.
Certaines ont été réunies dans Nicolas Adell et Jérôme Lamy (dir.), Ce que la science fait à la vie, Paris, Éditions du CTHS, 2016, p. 21-75.
On compte pour Georges Balandier plus d’une demi-douzaine d’autobiographies, échelonnées entre Tous comptes faits (1947) et Le Carnaval des apparences (2012). Sur cette « quête obstinée » de soi, cf. Jean Copans, Georges Balandier. Un anthropologue en première ligne, Paris, Presses Universitaires de France (PUF), 2014, p. 27-31. André Mary consacre actuellement une partie de ses recherches au démêlement de ce foisonnement autobiographique.
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